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Concubinage et travaux : une stricte appréciation de l’enrichissement sans cause

Le 21 novembre 2022

Un concubin ayant réalisé des travaux dans le bien de son concubin peut-il, après séparation, être indemnisé ? Un cas d’appréciation stricte de l’enrichissement sans cause.

Dans un arrêt rendu le 31 mars 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a refusé d’indemniser, après séparation et au titre de l’enrichissement sans cause, le concubin ayant réalisé des travaux dans le bien de sa concubine.

Dans cette affaire, un concubin avait financé et réalisé des travaux dans l’immeuble constituant le logement de la famille appartenant en indivision à sa concubine et aux enfants de celle-ci. Il n’en était donc pas propriétaire. Il demandait en ce sens le paiement d’une indemnité sur le fondement de l’enrichissement sans cause, demande à laquelle la Cour d’appel a accédé au motif que les travaux réalisés avaient appauvri le concubin les ayant financés et, corrélativement, apporté une plus-value au bien et donc enrichi ses propriétaires.

La Cour de cassation a censuré, au visa de l’article 1371 ancien du Code civil, l’arrêt d’appel, considérant que les travaux pouvaient être analysés comme une contrepartie des avantages dont le concubin les ayant réalisés avait pu profiter durant la période de concubinage. En l’espèce, le concubin n’avait pas acquitté de loyer au titre de l’occupation du bien litigieux et n’avait que faiblement contribué aux charges du ménage.

L’enrichissement sans cause est une création jurisprudentielle fondée sur l’article 1371 du Code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Aujourd’hui, si ce mécanisme a été codifié aux articles 1303 et suivants du Code civil, les situations de fait donnant lieu à son application restent strictement appréciées, en particulier en matière de concubinage.

Ainsi, sont exigés un enrichissement corrélatif à un appauvrissement ainsi qu’une absence de cause.

·         Un enrichissement et un appauvrissement corrélatifs

Cette première condition est aujourd’hui formulée à l’article 1303 du Code civil : « […] celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité […] ».

Celui qui demande le versement d’une indemnité au titre de l’enrichissement sans cause doit donc rapporter la preuve d’un enrichissement, d’un appauvrissement et d’une corrélation ce qui n’est pas forcément aisé.

Par exemple, dans le cas présent, le concubin devra rapporter la preuve de son appauvrissement ce qui passera par la preuve du financement et de la réalisation des travaux. Il lui faudra également rapporter la preuve de l’enrichissement de sa concubine ce qui pourra être justifié par la plus-value apportée au bien. Enfin, il devra démontrer l’existence d’une corrélation entre son appauvrissement et l’enrichissement de sa concubine, ici la preuve du fait que ce sont les travaux qui ont permis d’apporter une plus-value au bien.

·         Une absence de cause

L’article 1303 du Code civil dispose que l’indemnisation est due lorsque l’enrichissement est « injustifié ». A la condition d’un enrichissement et d’un appauvrissement corrélatifs s’ajoute donc celle de l’absence de cause qui permet de s’assurer que l’enrichissement est injustifié. Or, sur l’appréciation de cette condition, la jurisprudence, de même que la loi, est particulièrement stricte.

L’action de in rem verso ne saurait aboutir « si l'appauvrissement procède d'un acte accompli par l'appauvri en vue d'un profit personnel » (article 1303-2 C. Civ). L’acte donnant lieu à l’appauvrissement ne doit, en d’autres termes, pas être accompli en vue d’un certain profit que pourrait obtenir l’appauvri.

Excluent également une indemnisation l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ou encore son intention libérale (article 1303-1 C. Civ).

Le juge aura notamment la possibilité, comme c’est le cas en l’espèce, de considérer que les frais engagés par le concubin correspondent à une contrepartie à d’autres avantages reçus au cours du concubinage. Seule la preuve d’une disproportion de cette contrepartie saurait priver l’enrichissement de cause.

Ici, le concubin s’était acquitté d’une somme de 36 751,31 € au titre du coût des matériaux et avait lui-même effectué les travaux équivalant à un coût de main d’œuvre évalué à 21 119,28 € soit un total 57 800 €. Or, l’occupation du logement de sa concubine à titre gratuit pendant 17 ans correspondait à une économie de 80 580 €. La contrepartie constituée par les travaux effectués n’était donc pas disproportionnée.

A l’inverse, il a pu être jugé qu’il y avait enrichissement sans cause pouvant donner lieu à une indemnisation dans le cas où les travaux effectués excédaient largement la contribution d’un concubin aux dépenses de la vie courante et ne pouvaient dès lors être considérés comme une contrepartie[1]. En l’espèce, le concubin avait consacré plus de 700 heures à la réalisation de travaux dans le bien de sa concubine, transformant ce dernier en un espace habitable de 93 m² (CA Pau, 2e ch., sect. 2, 1er mars 2010, n° 08/03692).

Ici, il a été possible pour le concubin d’obtenir une indemnisation pour les travaux de rénovation en se fondant sur l’enrichissement sans cause en prouvant qu’ils ont été d’une telle ampleur que cela a dépassé sa participation normale à ses dépenses de la vie courante.

L’absence de cause est donc interprétée strictement par le juge et est en pratique difficile.

En résumé, pour que la demande d’indemnisation ait des chances d’aboutir, il faudrait prouver :

  •  Que les sommes engagées ou l’aide apportée ne trouvent pas leur contrepartie dans les avantages tirés du concubinage ;
  • Que ces sommes dépensées ou cette aide apportée aient excédé la participation normale aux dépenses de la vie commune ;
  • Que le concubin ayant fait les travaux ou ayant financé le bien de l'autre, n’ait pas eu d’intention libérale (étant précisé que la Cour de cassation refuse de déduire, du simple appauvrissement cette preuve d’une intention libérale, mais qu’il a pu être jugé - dans le cadre d’une action en paiement d’un prêt - que l’absence d’intention libérale peut résulter, par un faisceau d’indice, de la preuve d’une disproportion, CA de DOUAI, Cour d'appel, Douai, 8e chambre, 1re section, 12 Février 2015 – n° 14/03641)

La doctrine parle à ce propos d’une exception de l’octroi d’une indemnité de l’enrichissement sans cause là où le refus serait la règle. 

Voir Cass. Civ. 1e, 31 mars 2021, pourvoi n° 20-14.312

Article coécrit par Me Sophia BINET et Melle Anaëlle GABAS, étudiante M2 Droit privé général, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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[1] V. LARRIBAU-TERNEYRE, « Concubinage – Où l’importance des travaux effectués par le concubin justifie l’action fondée sur l’enrichissement sans cause », Droit de la famille n° 9, Septembre 2010, comm. 124.